Pour un artiste comme pour quiconque, parler aujourd'hui d'"Humanité(s)" n'est pas simple. Les valeurs des Lumières ont été tellement secouées par les crimes de masse du 20ème siècle que les notions d'humanisme et d'humanité(s) se sont vu contraintes d'envelopper, d'intégrer leur propre critique. Il faut reconnaître que le message humaniste a souvent servi à masquer des conduites ignobles, que l'enseignement des humanités n'aide souvent qu'à la reproduction des élites. En outre, on ne peut plus parler d'humanité sans se demander ce qu'on entend par là, ce à quoi on oppose le mot et pourquoi. Quelles stratégies intellectuelles y a-t-il derrière le fait de penser comme antagonistes l'humanité et l'animalité par exemple, ou la raison et la folie, ou la civilisation et la barbarie, ou l'universel et le particulier?

Mettre en évidence ces difficultés et ces risques ne signifie pas qu'il faille abandonner l'humanisme, mais bien plutôt en définir une version corrigée. Pour la formuler, il faut peut-être s'appuyer sur une définition pragmatique du mot humanité, donc fondée sur l'action : agir avec humanité, c'est aider les autres êtres, quels qu'ils soient, à vivre dans le moins de souffrances possible.

On voit ainsi apparaître le sens profond de cette exposition : le traitement vagabond du thème par les artistes et la grande diversité des sculptures proposées montrent qu'on peut parler avec force et talent de l'homme, de sa condition, de ses espérances et de ses failles, de son désir de se dépasser, tout cela - et c'est essentiel - sans réduire les œuvres à des messages, à des étendards de valeurs toujours susceptibles d'être banalisées ou dévoyées. En ce sens, l'exposition "Humanité(s)" conjugue art et pensée, et nous donne une belle leçon de complexité. (Guy Schibler)